Vévé

Puisque je pars dans 3 jours, et que je vis très bien l’attente, je me suis prise de passion subite, pour les vignes vierges. Enfin, pour la dévitalisation des vignes vierges. Ou plus prosaïquement, les méthodes disponibles pour éliminer cette plante de merde.

Mon histoire avec cette plante grimpante à feuillage caduc, a commencé lors de mon déménagement dans ce joli appartement en rez de chaussée, bien au dessus de mes moyens. Maison cossue, presque bourgeoise et petit jardin.

Très joli, l’été. Propice à la détente et aux apéros de début de soirée, un peu d’ombre, juste ce qu’il faut de fraîcheur, et cette impression d’être un peu ailleurs, comme hors de la ville. La plante crée comme un matelas mural moelleux qui assure un atmosphère printanière lors des grandes chaleurs.

Mais ça c’était avant que Vévé, c’est comme ça que j’appelle ma vitacée, ne se décide à s’établir définitivement sur tout le petit bout de terrain. Depuis qu’elle a décidé que chez moi c’était en fait chez elle, adieu les saucisses grillées, les rêveries au fond de mon filet yucatèque.

Vévé, tout le monde la trouve jolie, radieuse, épanouie. Je sens l’envie dans les commentaires de mes amis, elle est magnifique ta plante grimpante. Je n’ose plus dire le fond de ma pensée, de peur de vexer Vévé, elle est susceptible et irascible, donc je me tais.

J’ai commencé à m’y attaquer simplement en mettant au sol ses repousses vertes, empêchant ses ventouses de continuer leur ascension des murs mitoyens. Mais ce fut comme si je leur avais donné un coup de semonce et avait déclaré la mobilisation de l’ensemble des vrilles.

Sans avertissement. Sans hymne ni fanfare, la guerre était déclarée. C’est comme si cette mise à bas, cette première tentative de coupe, Vévé l’avait prise comme une insulte à sa force. Comme si j’étais Dalila, coupant les cheveux de Samson ou un des philistins l’offrant en sacrifice à Dagon.

Je sais qu’il est ridicule d’affirmer que mes intentions de départ étaient claires. Je voulais dégager les mèches sur le devant, tailler un peu sur la nuque puisqu’il s’agit de continuer dans la métaphore capillaire. Mais ça, c’était avant.

Aujourd’hui, je suis prête à l’abreuver de glyphosate, à faire couler le poison dans tous les trous que je m’apprête à percer maintenant dans ses troncs, à braver tous les règlements communaux, à l’asperger d’alcool et de white spirit et à lui mettre le feu. Et si les liquides inflammables ne suffisent pas, je préparerais un cocktail de savon résine, de terpène et d’autres hydrocarbures “naturels” qui s’insinueront en elle lentement mais sûrement, jusqu’à ce qu’elle en crève.

J’entends déjà les lourdauds faire des commentaires de forum internet sur la pureté de Vévé. Ou alors sur ses origines chinoises supposées. Silence les fachos.

Le premier qui l’ouvre se prend une cognée.

J’ai demandé de l’aide, ai fait venir une équipe de professionnels qui l’ont ratiboisée l’an passé. Mais à bout de souffle, après s’être battus, avec leurs tronçonneuses, leurs haches, leurs tailles-haies, sous le semblant de place nette, les déracineurs n’ont pas tout enlevé.

Et Vévé, s’est relevée. Ses racines profondes, vieilles comme le monde, ont fourragé la terre, creusé de nouveaux canaux, et elle est repartie de plus belle. Car Vévé se fout de la photosynthèse. Elle n’a pas besoin de la pluie.

J-3, alors que je devrais m’inquiéter de préparer ma valise, de régler mes dernières démarches administratives, je passe mes journées à couper, à extirper, ce que je peux de Vévé.

Il est facile aux visiteurs de commenter. Tu devrais mettre une bâche, il faudrait couper, tu pourrais faire un potager.

Mais pour mettre une bâche, pour couper, pour déraciner, pour potager, pour venir à bout de la plante récalcitrante, les tu devrais et les il faudrait ne suffisent pas. C’est comme si Vévé, n’était pas juste une plante mais qu’elle était le dernier signe de vie, un cafard d’après les explosions nucléaires.

Dès que je ferme les yeux, je la sens, je la vois sans la voir. Je ne pense plus qu’à elle.

Chaque nuit, je rêve que je sens ses ongles, ses foutues vrilles, que j’entends l’aspiration, le plop qu’elles font quand elles s’arrachent pour s’agripper plus haut, pour avancer plus loin, pour recouvrir l’espace que j’ai dégagé le matin.

A la merde, l’écologie. Faire des trous et les remplir d’ail ou de sulfate d’ammonium ! Je vais dégainer la sulfateuse, brandir la hache, sortir la tronçonneuse, oui ! Je vais t’en balancer du gros sel moi, et sur ta tronche, le hippie. De la chaux dolomitique ! Je vais te la faire grignoter la souche, et je jouerai de la flûte de pan pendant ce temps pour que ça fasse plus naturel. Et ça durera de deux à quatre mois pour laisser du temps à Vévé de mourir en douceur ! Sur le palan que je ferai avec des étais de maçon, c’est toi que je vais remonter comme l’ascenseur de la Tour Eiffel. Je vais t’écobuer la tignasse, mais avant je te ferais bouffer les vers, je t’emballerai dans un sac de plastique noir pour t’empêcher de repousser, je te perturberai les endocrines, je te rendrai résistant, je te modifierai génétiquement à toi qui me propose de “ bêtement sarcler”. Merci, j’y avais pas pensé !

Je vais asperger Vévé d’un biocide à large spectre ! Je vais en épandre partout et me rouler dedans! Pré-levée, post-levée, racinaires, total, je vais tous les utiliser. J’ajouterai de l’insecticide, du shampoing antipoux et de l’antimite, qu’est-ce que j’en ai à foutre de la biodiversité, moi je ne veux plus qu’une chose : faire dégager Vévé.