Read / Write Library

Une partie du type de recherche que j’ai entrepris nécessite des lieux d’archivages ouverts aux chercheurs indépendants, aux curieux en tout genre, aux artistes et à tout un chacun.

Je dis ça parce que certains centres d’archivage bruxellois, ne sont pas ouverts à tous. Hors du monde académique, pas de salut. Et encore, je n’aborde même pas la question des droits éventuels d’exploitation de ces archives… Bwef.

Chicago est la ville reine des projets d’archivage hors des sentiers battus. Je notamment au Leather archives & museum par exemple.

Plusieurs lieux s’essayent à l’archivage des marges et des archives d’artistes, de militants, d’associations ou de passionnés de musiques, et apprennent en faisant, trouvent des lieux et archivent.

Je n’ai pas encore résolu pourquoi il y a un tel appétit et une énergie de conservation des marges dans cette ville. Mais je trouve ça purement génial, pour une ratte de bibliothèque, c’est un peu le bonheur absolu.  Cette archivage passionné, c’est aussi un moyen de visibiliser des positions et discours, de permettre des formes d’histoires de traverse, d’envisager une histoire du quotidien, une histoire d’objets.

Difficile de ne pas penser aux rêves d’Histoire de Philippe Artières, à chaque fois que l’on se voit remettre une boite contenant des documents, qui seuls pourraient être vus comme banals et qui mis bout à bout nourrissent un récit, des représentations et vivent une autre vie, ensuite, sous forme de sources, de témoins, d’illustrations…

. Ces lieux sont des trésors. Ce qui ma fascine le plus, c’est que plusieurs bibliothèques officielles (universitaires ou d’accès public) accueillent également ce genre d’archives familiales ou personnelles.

En gros, l’idée, c’est archivons, étiquetons, il en sortira bien quelque chose.  Un lieu génial où il faut que je retourne avant de rentrer en Belgique, c’est la Read/Write library. C’est un peu à dache, vu qu’elle est vers Humboldt Park, mais elle vaut le déplacement.  Dans l’esprit, elle me fait un peu penser à la fanzinothèque du Confort Moderne, même si la taille et le financement sont assez différents.

Précédemment appelée la Chicago underground library, c’est bien aussi de la scène fanzine que vient ce projet. On y trouve surtout des livres et des fanzines, des posters, des publications crées par des enfants, ou des prisonniers, des journaux de quartier, des publications groupes de femmes…  un peu de tout ce qui s’imprime. C’est une sorte d’infokiosque géant et convivial, où les classes du quartier viennent puiser, mais aussi déposer le fruits de leurs recherches et créations.

Bref, un lieu d’archivage de la vie alternative et militante chicagolaise, un lieu communautaire que Nell Taylor a mis en place et qu’elle porte, avec quelques autres personnes bénévoles et dévouées. (La bibliothèque ouvre du vendredi au dimanche).

Le lieu vise aussi à collecter des traces de l’histoire du quartier en laissant de la place à toutes formes de recueil d’histoire orale. C’est comme ils disent une bibli qu’on lit et qu’on écrit.

Le projet a grandit avec les années et propose aussi une bibliothèque éphémère itinérante (pop  up library), un vélo cargo bibliothèque, un club de lecture… Et puis comme il faut bien payer les charges, il est possible de louer le lieu.

Suivre R/W en images : @readwritelibrary
Un bout de catalogue : https://readwritelibrary.org/catalog/search

Une autre caractéristique intéressante de R/W, c’est la collecte d’écrits, tracts et pamphlets liées aux luttes des personnes incarcérées, comme par exemple les publications du Chicago Prison Industrial Complex (PIC) Teaching Collective  ou de black and pink, un mouvement de prisonniers LGBTQ et d’alliés du «monde libre» qui se soutiennent mutuellement.

Un stickers de Black and Pink

 

 

Le guide

En attendant le début de la conférence organisée par la société d’histoire de Hyde Park (Chicago), les Amis des Parcs et l’association Héritage de Dusable, à laquelle j’ai assisté, médusée, cet après-midi, je suis tombée sur The Guide to Subversive Organizations and Publications, dans son édition de 1951.

Un livre qui résumera la teneur de mon week-end : archives et collections, mémoire et histoire, vie privée, surveillance et droits civiques.

Le guide est un des exemplaires d’une série de publications produites par le charmant House Committee on Un-American Activities, un organe qui s’occupa de 1938 à 1975 de la surveillance des activistes gauchistes et communistes. Complémentaire à la vendetta de McCarthy, le travail de la HCUA, crée initialement pour suivre l’activisme nazi américain se concentra presqu’essentiellement sur la surveillance des citoyens américains soupconnés de sympathie communiste, des japonais et des militants pour les droits civiques, délaissant le suivi du KKK, au prétexte qu’il était après tout une institution traditionnelle bien américaine.

C’est cet organisme qui est à l’origine de la liste noire d’Hollywood.

Le guide se propose, en plus de lister des organisations repérées pour leur couleur rouge écarlate, de donner des clefs pour apprendre à reperer ce qu’est un Front communiste, à base de citations de Lénine et de Staline. On y dénombre essentiellement de noms d’associations, d’écoles, de groupes de jeunesse et de syndicats, de librairies … et le groupe les Almanac Singers.

J’avais oublié que les Almanac Singers, le groupe de Woodie Guthrie et Pete Seeger s’était retrouvé sous le coup d’un suivi particulier à cause de ses chansons pacifistes et de ses apparitions et concerts de soutien aux ouvriers et syndicats et autres groupes anti-guerre.

Mais c’est surtout leurs chansons contre la mobilisation des troupes américains en 1940/41 qui les mis sur la sélète. Les Etats-Unis, encore en dehors du conflit mondial, se sont en partie servis de la conscription comme moyen de lutte contre le chômage massif qui menaçait la paix intérieure américaine. Un véritable front populaire de forces de gauche (syndicats, pacifistes, groupes anti racistes) s’étant progressivement mis en place, les idées socialistes et communistes gagnaient donc du terrain. Et les chansons des Almanach singers, leur servaient de bande son.

Parmi les membres du groupe, ils purent compter Bette Lomax, la soeur du fameux Alan et Josh White, le bluesman afro-américain, fondateur des protest-songs avec ses hymnes anti Ku Klux Klan et cible malheureuse des élans des maccarthistes. White enregistra avec eux leur premier album.

Une autre figure remarquable du groupe, Will Geer, fut le compagnon et mentor politique de Harry Hay, militant syndical, membre du pc américain et l’un des fondateurs de la Mattachine Society, un des premiers groupes militants gay autosuffisant. Hay fut aussi un des fondateurs du Front de libération homosexuel américain et des Radical Faeries.

Ramifications

La difficulté principale du blogging, et c’est pour ça que je n’ai jamais réussit à maintenir ce type d’exercice sur la longueur, c’est la régularité que ça nécessite. Et, ceux qui me connaissent le savent, ce n’est pas que je n’y pense pas, bien au contraire, mais j’ai besoin d’abord de repasser tout en revue mentalement — d’aucun dirait de ruminer — avant de me lancer. Une fois prête, alors ça va assez vite. On appelle ça semble-t-il la meta-cognition, le fait de penser sur la pensée, ça va mieux en le disant.

J’ai donc plusieurs billets en préparation dans ma tête, mais alors que la Belgique vient de marquer un premier but dans la petite finale de la Coupe du Monde de football, et accumulent les occasions ratées devant les buts anglais, je tente le billet spontané.

Sur la California Avenue

En parlant de technique cognitive vue comme contribuant à la survie humaine, j’ai rencontré hier soir la jeune artiste Ireshia Monet, dont le travail sur la résilience touche à la fois la mémoire, la transmission, les traumas et les stratégies individuelles et collectives d’autonomisation et de réparation.

Sa série photographique, The pearls my mother gave me, évoque les transmissions traumatiques, la violence transmise comme un héritage, comment gérer les équilibres entre ce qui doit être dit et les silences.
Il y a ce qu’on (re)garde et ce à quoi on tourne le dos.

© Ireshia Monet

Son travail, et ce qu’elle en dit, m’a beaucoup fait penser à celui d’un des participants de la formation Ateliers des horizons de l’an passé, Yves Monnier qui travaille, en tout cas c’est comme ça que je le comprends, sur la résilience. (Son site ne rends pas compte de tout ce qu’il a au travail sur ce sujet, il va falloir me croire sur parole). On a fini nos échanges, Ireshia et moi, en parlant de neurosciences et de Cyrulnik, celle-là non plus je ne l’avais pas vue venir.

Sur les murs de la bibliothèque Read/Write

Ce qui est drôle dans cette rencontre, c’est qu’on s’est retrouvée par hasard à la Read/Write library, alors qu’on avait échangé des mails dans l’après-midi à propos du Transmedia Story Lab, sans que je sache qu’elle était bénévole photo pour le festival Chicago Archives + Artists.

Ma mère dirait qu’il n’y a pas de circonstances fortuites.

Parce qu’évidemment, des rencontres sur les archives à mon projet de résidence, tout à avoir avec la mémoire et la transmission en ce moment. Qu’elle soit collective — comment garder la trace de l’histoire populaire, de la vie quotidienne, des mobilisations des minoritaires et exclus. Ou qu’on aborde la mémoire individuelle, personnelle, familiale. De quoi se souvient-on quand oublie tout ? A ce que nous disent les vivants, ce que nous laissent les morts.

© Mathieu Drouet
© Mathieu Drouet

Il y a aussi le travail de Mathieu Drouet, toujours en cours, sur Terreneuve et la bataille de Monchy-le-Preux. Il y cette expo du Dusable. Il y a les actives archives de Constant. Il y a Vincianne Despret.

Il y a tellement de ramifications.

Enfin, bon, on va encore me dire que meta-cognitionne là et c’est la mi-temps. Il est temps que je me douche et que je mette en route pour la seconde journée du festival sur les archives à Chicago.